POLITIQUE ET SOCIETE

François Fillon : «Avec un président aussi faible, le risque est que le pays devienne ingouvernable»

Par Stéphane Dupont, Isabelle Ficek et Dominique Seux | 22/04 | 17:43 | mis à jour à 17:52

Dans une interview aux « Echos », l’ex-Premier ministre juge très sévèrement le programme de stabilité soumis mardi aux parlementaires. Il plaide pour une « vraie » baisse du coût du travail, un retour aux 39 heures et un référendum sur les territoires.


Vous avez évoquez une «crise de régime». N’est-ce pas excessif ?

François Fillon - AFP
François Fillon - AFP

Non, je ne crois pas. Il y a une crise économique majeure à laquelle le gouvernement est incapable de répondre. Il y a une crise politique qui se manifeste notamment à travers l’opposition au mariage pour tous et l’effondrement brutal de la popularité du chef de l’Etat. Et il y a enfin une crise morale à la suite de l’affaire Cahuzac.

Je suis très inquiet. Je pense que cela peut mal finir. Entre la faiblesse du président et la montée des extrêmes, le risque de voir le pays glisser vers une situation dans laquelle il serait ingouvernable n’est pas à exclure. Heureusement qu’il y a les institutions de la Ve République !


Comment sortir de cette situation?

Depuis plusieurs mois, je dis au président de la République qu’il faut qu’il prenne trois décisions qui seraient de nature à permettre un nouveau départ. Il doit faire comme François Mitterrand en 1984 : un changement total de politique économique. Ce qui suppose un changement complet de l’équipe gouvernementale, y compris du Premier ministre. Je lui ai demandé d’arrêter la réforme constitutionnelle. Enfin, ce qui paraît de plus en plus difficile, suspendre le texte sur le mariage. Je suis contre ce texte mais je comprends qu’il puisse estimer qu’il est juste. Simplement, cette affaire est en train de cristalliser des oppositions, une espèce de division nationale totalement contraire à l’esprit de rassemblement nécessaire autour d’une nouvelle politique économique.


La crise touche d’autres pays. N’est-ce pas la principale cause des difficultés de la France ?

La cause principale, c’est la perspective de déclin de l’économie française et plus globalement de l’économie européenne. Elle exacerbe les passions, elle bouche des horizons, elle pousse au repli sur soi, à la recherche de boucs émissaires : les étrangers, les chefs d’entreprise. Raison de plus pour prendre les mesures qui s’imposent.

Nous approchons du premier anniversaire de l’élection de François Hollande. Tout s’est dégradé depuis son arrivée à l’Elysée : l’objectif de réduction du déficit public n’a pas été tenu, le pouvoir d’achat baisse comme jamais, l’écart de compétitivité avec l’Allemagne est toujours aussi important, les impôts ont bondi, les marges des entreprises en France sont au plus bas en Europe. Et par-dessus cela, on est entré de façon profonde en conflit avec l’Allemagne, alors que le seul espoir de redresser la situation économique en Europe réside dans la convergence des politiques entre Berlin et Paris.


Ne faut-il pas faire pression sur l’Allemagne ?

C’est ce que François Hollande a essayé de faire depuis un an. Et c’est un échec total. Au lieu de construire une relation de confiance avec l’Allemagne qui permette d’aborder tous les sujets, y compris ceux sur lesquels on n’est pas d’accord, comme nous avions réussi à le faire sous le précédent quinquennat, le chef de l’Etat a créé une relation de défiance, a tenté de constituer une alliance des pays du sud de l’Europe dirigée contre l’Allemagne. Sans aucun résultat. C’est un désastre sur tous les plans. Faute d’une bonne entente entre Paris et Berlin, les Allemands privilégient d’abord leurs intérêts propres. Pourquoi l’Allemagne tiendrait-elle compte aujourd’hui de l’avis de la France ? Le président de la République se conduit de manière très mesquine avec Angela Merkel. Il fait de la petite politique politicienne : elle ne l’a pas soutenu, il lui rend la monnaie de sa pièce, en appuyant ses adversaires. C’est inédit dans le couple franco-allemand.


Que pensez-vous du programme de stabilité présenté mardi à l’Assemblée ?

Il n’est absolument pas crédible. D’abord parce que ses fondations sont d’une extrême fragilité. Les prévisions de croissance sont mises en doute par le FMI, le Haut Conseil des finances publiques et le consensus des économistes. Ensuite, les mesures annoncées par le gouvernement à l’appui de ce programme sont insignifiantes. La seule que l’on ait finie par retenir est la simplification pour les PME : tout cela est anecdotique ! Pour le reste, le crédit d’impôt compétitivité emploi est une version dégradée de la TVA sociale. Il est tellement complexe que la prévision budgétaire pour l’année est de l’ordre 430 millions d’euros. Cela montre la puissance du « choc » de compétitivité ! Depuis un an, les impôts que paient les entreprises ont augmenté de 20 milliards d’euros. Sans parler du sabotage idéologique conduit par Arnaud Montebourg et quelques autres vis-à-vis des entreprises et de l’attractivité du pays en termes d’investissement.



Que proposeriez-vous ?

Il faut un véritable choc qui passe par une baisse du coût du travail, de l’ordre de 5 à 6%, compensée par une hausse de la TVA, couplée à une augmentation immédiate du temps de travail, c’est-à-dire un retour aux 39 heures payées 35, sauf négociations différentes dans l’entreprise. Il faut faire du retour à 39 heures la règle, au moins pour deux ans.

La réforme de l’indemnisation du chômage est aussi absolument urgente, avec une forme de dégressivité liée à la formation professionnelle. Il faut reprendre immédiatement le 1 sur 2 dans la fonction publique ainsi qu’une forme de révision générale des politiques publiques et l’étendre aux collectivités locales. J’ajouterais un travail sur les professions réglementées, pour voir tous les éléments possibles de baisse de prix.


Faut-il moduler les allocations familiales selon les revenus ?

Je suis attaché au principe d’universalité de la politique familiale. Dire que cela ne concernera que les revenus les plus élevés est faux. Si le gouvernement veut que cela rapporte de l’argent, il touchera massivement les classes moyennes. Je n’y suis pas favorable.



Et pour les retraites ?

Repousser l’âge légal à 65 ans doit être l’objectif. Pour une réforme plus fondamentale, il faut un système à la suédoise, qui mêle la répartition et la capitalisation. Mais je n’ai jamais cru au grand soir en matière de réforme des retraites. Dans son entêtement idéologique à ne pas vouloir augmenter l’âge de départ à la retraite, la gauche prépare une baisse du niveau des pensions.


Quelles autres économies faut-il faire dans les dépenses de l’Etat ?

Le point qui me paraît être le plus urgent est la réforme de l’organisation du territoire. On ne peut pas seulement serrer les boulons en baissant les dotations aux collectivités. Il faut une réforme radicale des collectivités. Je défends la fusion des départements et des régions, des communes et des communautés de commune. De ce point de vue-là, ce qui s’est passé en Alsace m’a profondément attristé. Cela ferme une piste que je pensais prometteuse : celle d’une organisation du territoire à la carte. Il faudra passer par un référendum sur l’organisation du territoire. C’est la seule façon de régler cette question. Il faut le faire en début de quinquennat, quasiment couplé avec les élections législatives et y introduire la réduction du nombre de parlementaires et la réorganisation du Parlement, qui seraient je crois, assez populaires.


Dans les sondages, les Français disent que l’opposition ne ferait pas mieux.

C’est normal qu’ils doutent de la capacité de l’opposition. Nous avons été battus il y a un an et vous ne m’avez jamais entendu dire que nous avions presque gagné. On ne peut pas dire que la réorganisation de l’opposition se soit faite tranquillement non plus. Elle n’est d’ailleurs pas achevée. Nous avons encore du chemin à faire pour le rassemblement et le projet.



Etes-vous inquiet d’un possible rapprochement de l’UMP et du FN ?

Un rapprochement, c’est hors de question. Les efforts que j’ai évoqués ne sont pas des efforts que l’on peut imposer même par la force de l’élection. Ils ne peuvent être supportés que si une large majorité de Français se reconnaît dans la politique menée. Vouloir se rapprocher un tant soit peu des extrêmes, d’un côté ou de l’autre, c’est rendre impossible tout redressement national. Nous ne sommes pas éloignés d’un temps où un minimum d’union nationale va devenir nécessaire. Si François Hollande a vraiment le souci d’engager le redressement national, il devrait réfléchir à une politique qui soit centrale, au sens où elle doit pouvoir être soutenue par une partie de la droite et une partie de la gauche.


Comment jugez-vous la personnalité du président ?

Je suis très déçu. Je connais François Hollande depuis longtemps, je ne partage pas ses engagements politiques mais j’espérais qu’il ferait preuve de plus d’autorité et de plus de flexibilité intellectuelle, notamment dans ses relations avec l’Allemagne. S’il était l’homme de la situation, il aurait dû au bout de quelques mois prendre la mesure du caractère inadapté de ses propositions et faire un virage sur l’aile au moins sur certains sujets. La manière dont il brandit la menace d’exclusion de ministres sans jamais prendre de décision est terrible. J’aurais immédiatement démis de ses fonctions Arnaud Montebourg. Il y a un énorme doute sur son leadership.

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Écrit par Dominique SEUX
Rédacteur en Chef
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