Dans un entretien à Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy accuse l'exécutif, à force de "faiblesse" et de "lâcheté", de semer "la pagaille" dans le pays. Et annonce ce que la droite devra faire après 2017.
Depuis la fin du mois de mars, la France se déchire au sujet de la loi El Khomri au point d'être en situation de blocage. Comment est-on entré dans cette crise ?
François Hollande a tout faux depuis le début. Il n'aurait tout d'abord jamais dû utiliser le 49.3, qui était une erreur majeure. Le passage en force, c'est l'absence de débat : voilà pourquoi, lorsque j'étais président, je ne l'ai jamais utilisé. Privé de majorité, le pouvoir est contraint de priver les Français de débat. Si vous n'acceptez pas le débat des idées au Parlement, il se passe dans la rue. Ce texte, ensuite, est infiniment trop faible pour résoudre les problèmes, mais suffisamment urticant pour susciter des passions à gauche. Le gouvernement, enfin, a fait preuve de faiblesse face à la rue. Ce que l'on voit aujourd'hui, c'est la chienlit. Des gens debout la nuit, des "zadistes" à Nantes qui s'opposent à un aéroport qu'une centaine de décisions de justice ont validé, un mouvement écologiste archaïque qui demande l'arrêt du nucléaire, une CGT dans la surenchère, tout cela conduit à l'anarchie. À quoi s'ajoute le résultat de la politique pénale du gouvernement : trois personnes accusées de tentative d'homicide sur des agents de la force publique ont été relâchées et sont donc non incarcérées ! La pagaille, la faiblesse, la lâcheté, la perte totale d'autorité : voilà le spectacle auquel nous assistons.
François Hollande et Manuel Valls doivent-ils céder face à la rue ?
Quand on sème le mensonge, on récolte la tempête. François Hollande et Manuel Valls sont piégés car ils n'ont jamais parlé de cette réforme du travail durant la campagne de 2012, et n'ont donc pas de mandat pour faire adopter ce texte. Si c'était urgent - admettons qu'ils n'en aient pas parlé en 2012 par lâcheté -, pourquoi avoir attendu la dernière année du mandat pour le discuter ? Qu'ils aillent au bout et fassent adopter cette loi ou qu'ils reculent, il restera qu'ils ont cassé les ressorts essentiels le respect de la parole donnée et la confiance. Le plan concocté par François Hollande - communiqué par voie de presse dimanche dernier - consistant à vouloir sauver la loi El Khomri en marchandant sur d'autres fronts des compensations avec les syndicats montre qu'au mensonge s'ajoute désormais le cynisme. C'est la preuve ultime de la perte totale de crédibilité du pouvoir actuel.
Est-ce de l'improvisation ? de l'amateurisme ?
C'est du cabotage. Nous avons un capitaine qui cabote alors que la France traverse l'Atlantique par grand vent. Un de ses alliés de la dernière heure, lors de la campagne présidentielle de 2012, avait parlé de « capitaine de pédalo ».
Des parlementaires socialistes, dont l'ancienne ministre Aurélie Filippetti, évoquent déjà une motion de censure contre le gouvernement lors du retour de la loi El Khomri à l'Assemblée. Encouragerez-vous les députés Les Républicains à la voter avec eux pour faire tomber le gouvernement ?
Il y aura d'abord une motion de censure déposée par l'opposition. Je sais que de nombreux parlementaires dans nos rangs, poussés par des électeurs exaspérés, voudront aller plus loin et voter la motion déposée par une partie de la gauche contre ce gouvernement. Quant à moi, je réserve ma réponse pour le jour où la question se posera réellement, en pensant d'abord à l'intérêt du pays. Mais de là à imaginer que la droite soutienne François Hollande, il y a un pas que je ne suis pas prêt à franchir...
Au risque de transformer cette crise sociale en crise de régime ?
Il ne s'agit pas d'une crise sociale mais d'une crise politique. Nous avons un président qui n'a plus de majorité réelle pour soutenir sa politique.
Si la contestation est aussi violente face à un gouvernement de gauche, que répondez-vous à ceux qui assurent que, une fois revenue au pouvoir, la droite n'aurait aucune chance de réformer ?
Il est faux de dire que le peuple français est réfractaire aux réformes. Votre question laisse croire que les Français sont mobilisés contre la loi El Khomri. Or ils sont d'abord mobilisés contre le mensonge. Ceux qui descendent dans la rue le font pour s'opposer à un président qui avait tout promis et qui n'a pas respecté ses engagements. Voilà pourquoi notre stratégie doit être de tout dire avant l'élection pour tout faire après, de faire de la présidentielle de 2017 un moment de vérité qui engage, pas seulement sur un candidat mais sur un projet. Il doit y avoir un continuum entre la campagne et le mandat.
Quelles réformes préconisez-vous pour éviter ce type de crise ?
Il faut d'abord rendre les organisateurs de manifestations responsables civilement des dommages commis pendant ces événements. Où est-il écrit que, lorsque des devantures et le mobilier urbain sont cassés ou qu'un policier est blessé, c'est au seul contribuable de payer ? Dans d'autres pays, lorsque l'on touche à un policier, on écope d'une peine de prison ferme. Je demanderais donc le mandat de dépôt immédiat et une peine plancher de prison incompressible en cas d'atteinte à l'intégrité physique d'un dépositaire de l'autorité publique. Concernant les dépôts de carburant et les raffineries, le gouvernement doit systématiquement recourir à la réquisition du personnel en grève, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Si j'ai fait voter, dès 2007, la loi sur le service minimum dans les transports, c'était pour éviter la prise en otage des Français en période de grève. Si cette loi n'existait pas, la situation dans les transports serait bien pire aujourd'hui ! On ne peut paralyser un pays. Je souhaite donc que l'opposition aille plus loin et que l'on passe d'une logique d'un service minimum dans les transports à un service minimum étendu à tous les secteurs essentiels pour les Français, à commencer par ceux des raffineries, des centrales nucléaires et du secteur aérien.
Que répondez-vous au « ça va mieux », le nouveau slogan de François Hollande ?
On se demande, en constatant à quel point il est coupé de toute réalité, si le président de la République vit dans le même monde que les Français.
Vous diagnostiquiez, en août dernier, la colère française. Dix mois plus tard, que percevez-vous ?
Vous le constatez vous-même : cette colère était sourde, aujourd'hui les Français l'expriment ouvertement. C'est ce que je ressens dans chacune de mes rencontres avec les Français.
Vous venez de fêter le premier anniversaire de votre parti Les Républicains, lancé le 30 mai 2015. Quel bilan tirez-vous de cette première année ?
Il y a un an et demi, je prenais la tête d'une famille politique divisée, ruinée financièrement, sans projet, sans équipe dirigeante. Patiemment, nous en avons fait la première formation politique de France, qui n' a jamais eu autant de militants, qui a remboursé une large partie de ses dettes, qui a gagné les élections départementales puis régionales, et qui présente un visage bien plus uni en dépit du contexte de la primaire. Si nous n'avions pas fait ce travail de fond, ingrat, le Front national aurait poursuivi sa progression et notre capacité à incarner l'alternance aurait été entamée. Aujourd'hui, l'enjeu pour la droite, c'est d'avoir le courage d'assumer ses convictions et de refuser des idées molles ou faussement consensuelles.
Avez-vous pris une décision au sujet de votre candidature à la primaire de la droite en novembre prochain ?
Oui.
Quelle est cette décision ?
Ce n'est pas encore le moment pour moi de m'exprimer sur ce sujet, pour une raison simple j'ai un travail à faire et j'ai l'intention de le mener à son terme. J'ai été élu pour un mandat qui consistait à reconstruire ma famille politique, à la doter d'un projet, d'investitures pour les élections législatives, et à l'amener en ordre à la primaire. De plus, nous ne sommes pas entrés dans la phase de cette primaire. Il n'y a pas encore de candidats, il y a seulement des candidats à la candidature - et je n'ai pas l'impression que l'on en manque ! -, et ce jusqu'au 21 septembre, quand la haute autorité de la primaire dira qui peut concourir. Nous sommes en juin, dois-je abandonner le navire ? C'est la pagaille dans la rue et l'opposition devrait ne plus avoir de chef ? Je m'y refuse. Je n'en ai pas le droit.
Propos recueillis par Yves de Kerdrel, Frédéric Paya, Raphaël Stainville, Geoffroy Lejeune et Pierre Dumazeau