Le monde � l'�cole de Guy Savoy

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Le chef Guy Savoy dans son restaurant parisien en f�vrier 2002.
AFP/ERIC FEFERBERG
Le chef Guy Savoy dans son restaurant parisien en f�vrier 2002.

Jo�l Robuchon d�clarait r�cemment : "La grande cuisine m'emmerde !" Trop snob ? Trop guind�e ? Certaines tables, parmi les plus r�put�es, sont au contraire connues dans le milieu pour la convivialit�, la d�contraction et la bonhomie du chef. Une visite au restaurant Guy Savoy, o� pas moins de quinze nationalit�s sont repr�sent�es dans l'ensemble du personnel, en cuisine et en salle, suffit � le prouver. Ce n'est pas un restaurant : c'est une v�ritable tour de Babel, � quelques centaines de m�tres de l'Arc de triomphe.

Chaque vendredi � 8 h 45, le personnel de cuisine du restaurant - trois �toiles Michelin depuis 2002 - se r�unit autour du passe pour un casse-cro�te pr�par� � tour de r�le par deux membres de la brigade. Ils sont une vingtaine, commis, chefs de partie, sous-chefs, tous tr�s jeunes, venus de pays diff�rents.

Vendredi 4 septembre, la t�che de pr�senter la cuisine de leur pays incombe � Julius, un Su�dois entr� dans l'�quipe depuis sept mois, et � un v�t�ran qui se pr�sente sobrement "Jean, Congo Brazza."

Julius explique : "En Su�de, le sm�rgasbord est un repas avec diff�rentes pr�parations de harengs, de poissons fum�s, de salaisons, de plats chauds et de fromages." Sur le passe, entre la cuisine et l'office, il a dispos� des harengs marin�s aux oignons, ou bien assaisonn�s � la moutarde et � l'aneth, des maquereaux, un peu d'anguille fum�e avec des galettes de pain de seigle croquantes. Jean a pr�par� des chaussons � l'ananas.

Ce rituel du vendredi a �t� institu� par Guy Savoy depuis plusieurs ann�es pour souder une brigade compos�e, comme le personnel de salle, de nombreux �trangers : "Ils pr�sentent chacun � leur tour les plats typiques qu'ils aiment. On en parle librement, et lorsque Mousse, le plongeur marocain, pr�pare le couscous, c'est un �v�nement." D'ici l�, la brigade aura go�t� la cuisine d'Argentine et de Colombie, du Portugal et d'Angleterre. Rachel, une jeune stagiaire, originaire du Surinam, arriv�e de Hollande depuis une semaine, se demande ce qu'elle pourra bien pr�parer lorsque son tour viendra.

Pour Laurent, originaire du Var, qui dirige la brigade avec Michel, natif de Chablis, "partager ses propres saveurs nationales avec ses coll�gues est un moment essentiel de l'int�gration de l'�quipe". Surtout lorsque ce sont des apprentis ou des commis qui ont cette charge. Cela peut-il aller jusqu'� influencer la cuisine de l'�tablissement ? "Je ne le crois pas, assure Laurent, mais cela ouvre utilement la palette des go�ts de chacun." La cuisine, � ce stade, est v�cue comme une forme de libert�, parmi des contraintes multiples.

Guy Savoy ajoute : "La cuisine, c'est comme le rugby ; avec des joueurs tr�s diff�rents - un demi de m�l�e et un pilier - on doit faire une �quipe homog�ne." Il cite son propre exemple. Son p�re, d'origine helv�tique, et sa m�re, dauphinoise et cuisini�re, lui ont enseign� le go�t de la poire � botzi, de la moutarde de b�nichon et de la cuchaule (brioche safran�e), sp�cialit�s de Fribourg, mais aussi celui des plats mitonn�s. Deux traditions qu'il restitue aujourd'hui dans un jarret de veau brais�, suave et onctueux, v�ritable appel � la nostalgie de l'enfance.

Le patrimoine culinaire et le go�t sont pour Guy Savoy des valeurs � privil�gier. Sans jamais omettre le style. C'est celui de l'homme m�me, avec ce visage de patricien, ombr� d'une barbe l�g�re. Une finesse qui recherche l'essence du go�t, l'�pure. Guy Savoy est un homme de terroir, temp�r� par l'humour. Tout cela est exprim� avec une sorte d'affirmation positive, sans nostalgie.

La pr�sence de collaborateurs �trangers dans la cuisine et la salle est, � ses yeux, un atout. Et de citer l'exemple de Sandrine et Lauriane � l'accueil, l'une d'origine s�n�galaise, l'autre ivoirienne. "Nous avons deux Ta�wanaises en p�tisserie, en salle un Allemand, Hubert, plein d'humour, qui rit de ses propres blagues, et encore un Chinois, un Argentin, un Alg�rien, un Belge et m�me un Anglais."

La pr�sence d'�trangers dans les grandes maisons est une tradition ancienne. C'est une des raisons du rayonnement de la cuisine fran�aise dans le monde, en particulier des 5 000 restaurants fran�ais de Tokyo, tenus souvent par des Japonais, venus pour la plupart faire un stage en France apr�s leur formation au Cordon Bleu, �cole tr�s active au Japon. C'est chez Guy Savoy que l'Anglais Gordon Ramsay, l'Am�ricain Thomas Keller et Eyvind Hellstrom � Oslo, tous triplement �toil�s par le Michelin, ont appris � cr�er leur propre style culinaire. Plusieurs membres de l'actuelle brigade ne cachent pas leur intention d'ouvrir un restaurant dans leur pays.

Les candidats � un poste en cuisine sont g�n�ralement recommand�s. Ils sont choisis pour leur motivation et leur d�sir de bien faire. Leur progression dans la hi�rarchie - commis (1 500 euros par mois), demi-chef de partie, puis chef de partie (2 000 euros) - se fera au rythme des affectations et d'un changement r�gulier afin de rompre la monotonie des t�ches et de recevoir une formation compl�te. Les commis passeront donc, en principe tous les trois mois, du garde-manger (appr�t de la viande crue, des volailles et des plats froids) aux autres parties : viandes chaudes, poissons, l�gumes, entr�es chaudes.

Les p�tissiers, au nombre de huit, ont une position particuli�re. Ils partent les derniers le soir, parfois fort tard, et n'arrivent qu'� 10 heures. Sinon, la brigade s'active d�s 8 heures, tandis que le personnel de salle, plac� sous la direction de Christophe, responsable de la salle, nettoie la "carcasse" apr�s chaque service, sol, nappage, car les tables sont d�plac�es en fonction des r�servations.

Le personnel de salle, recrut� par Carole, est aussi composite que la cuisine, et affect�, selon les possibilit�s, aux diff�rentes nationalit�s de la client�le. Chaque jour, les commis de salle nettoient l'argenterie, tandis que les sommeliers s'assurent de l'impeccable nettet� des verres. En salle, deux "briefings" d'un quart d'heure se tiennent avant chaque service, � 11 h 45 et 18 h 45, en pr�sence de deux repr�sentants de la cuisine.

Cette organisation quasi militaire a totalement pacifi� les relations d�crites par Zola, qui �taient parfois difficiles, entre la salle - les "porteurs de gourmettes" - et la cuisine - les "graillonneux" -, deux corps de m�tiers au seul service du plaisir de la client�le. Car aujourd'hui, l'ambiance d'un restaurant de luxe d�pend de la promptitude, de l'efficacit� et de la discr�tion du personnel de salle, autant que de la qualit� des produits, de la pr�cision des cuissons et de la quasi invisibilit� du travail de cuisine.

Guy Savoy recherche parmi les qualit�s de ses collaborateurs moins une capacit� technique qu'un investissement culturel et une soif d'�change qui leur permettent de progresser. Car, pour lui, "la diff�rence saute aux yeux entre celui qui travaille les parures afin d'obtenir un jus d�licat et un autre qui n'obtiendra qu'un bouillon".

Cette observation rejoint les d�veloppements de Jean-Fran�ois Revel dans Un festin en paroles (Plon, 1978), � propos de "l'id�e g�n�ratrice" et des "principes" qui fondent la cuisine fran�aise et sa capacit� � s'ouvrir aux saveurs et aux produits �trangers, son universalisme h�rit� des Lumi�res. Et de citer le marquis de Cussy, ma�tre d'h�tel de Napol�on qui conseillait aux gourmands, m�me s'ils n'avaient sous la main qu'une cuisini�re picarde, de commencer par l'instruire. C'est ainsi que chez Guy Savoy, un Africain ou un Asiatique pourra, tout aussi bien qu'un Nantais, r�aliser un excellent beurre blanc.

Jean-Claude Ribaut
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Vos réactions
Jacques L. :
  Si ce qui est d�crit dans cet excellent article est vrai et se pratique tous les jours, c’est un "pur bonheur" et c’est enthousiasmant. Il faut que Guy Savoy, dont le visage refl�te la grande culture, l’ouverture d’esprit, la tol�rance et le respect des "autres", des �trangers et de leurs cultures, b�n�ficie des plus grands appuis de l’�tat. Ce GRAND MONSIEUR fait plus pour la France et son Commerce Ext�rieur qu’un dirigeant du Cac 40, assist� permanent toujours en train de pleurer des Zaides!  
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